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dimanche 15 octobre 2023

À la Busserine, dans les quartiers nord de Marseille, la mémoire vive de la Martiniquaise Françoise Ega

Née en 1920 à Morne Rouge, en Martinique, cette femme de ménage devenue écrivaine à ses heures perdues a toujours combattu l'injustice, les inégalités et les discriminations. Dans le quartier marseillais où elle s'est installée avec sa famille et dont une rue porte son nom depuis 2019, elle a laissé une trace indélébile. Aujourd'hui, ses enfants continuent d'agir contre l'illettrisme au sein du Comité Mam'Ega. En plein cagnard du mois de juin, Emmanuel Macron fait une sortie remarquée à la Busserine, un des quartiers nord de Marseille. Depuis son arrivée au pouvoir, il a multiplié les visites dans la cité phocéenne, faisant de la deuxième ville de France son laboratoire des politiques publiques. Car, à Marseille, tout reste à faire : éducation, sécurité, santé, pauvreté... Dans les quartiers nord bâtis dans les années 1960, le président fait une halte dans le gymnase de la Busserine, situé rue Françoise Ega. Parmi les habitants venus l'apercevoir, Jean-Marc Ega, un des fils de Françoise. L'homme aux cheveux courts et grisonnants est président de l'association créée en hommage à sa mère, et dont les locaux se situent à quelques pas du gymnase : le Comité Mam'Ega. Trois mois après le passage du chef de l'État, qui n'a pas vraiment impressionné la famille Ega, l'ambiance est calme dans le quartier, qui fait partie d'un plus grand ensemble nommé Grand Saint-Barthélemy III. En ce début d'automne, le soleil tape les immeubles. L'air est étouffant. Des monticules de détritus posés dans la rue apparaissent çà et là. Une voiture passe au ralenti. "C'est plutôt calme aujourd'hui", indique Jean-Pierre Ega, le frère de Jean-Marc. Fin connaisseur des moindres recoins du quartier, ce sexagénaire montre l'ancien immeuble où il vivait avec ses parents et ses quatre frères et sœur. "J'ai habité là, au 4ᵉ étage", dit-il. Au rez-de-chaussée de ce même immeuble, une énorme inscription au-dessus d'une double porte vitrée annonce le "Comité Mam'Ega".
Après une vie d'artiste-chorégraphe, puis d'éducateur spécialisé dans le quartier, Jean-Pierre a quitté la Busserine pour aller vivre dans un coin plus tranquille. Mais il revient régulièrement dans le coin. "C'est mon chez-moi de cœur ici, mais on a pris la distance qu'il fallait pour survivre et voir le monde." Au bout de la rue, en temps normal, un gamin passe la journée assis, à surveiller les allers et venues dans le secteur, afin de s'assurer que le trafic de drogue se déroule tranquillement. Ce jour-là, le "chouf" est installé un peu plus loin. Depuis des années, le trafic de drogue, et toute l'économie informelle qui en découle, a pris en étau les cités du nord de Marseille, régulièrement théâtre de règlements de compte entre bandes rivales. Au grand dam des habitants, qui peuvent parfois être pris entre deux feux. Au mois de juillet, quatre personnes ont été interpellées par les forces de l'ordre après une fusillade en plein milieu de journée. Aucune victime n'a été à déplorer. Mais l'incident témoigne d'une certaine tension dans les environs. Pourtant, ça n'a pas toujours été comme ça. Jean-Pierre Ega se souvient de l'arrivée de sa famille dans le quartier en 1969. Il avait 12 ans. "C'était un quartier bien sympathique, raconte-t-il. Avec mes frères et sœurs, on allait chercher le lait à la ferme, on amenait du pain aux cochons, on récupérait des légumes...". Une ville dans la campagne. Mais, depuis, les immeubles ont poussé comme des champignons. L'espace s'est urbanisé. "Lettres à une Noire" Les époux Ega, originaire de la Martinique, sont arrivées dans l'Hexagone pendant la Seconde guerre mondiale. Le père, Franz, était infirmier militaire. La mère, Françoise, était engagée dans les Forces françaises libres. À la fin de la guerre, le couple voyage dans plusieurs pays d'Afrique, où nait leur premier enfant, avant de s'installer à Marseille. Dans son quartier, Françoise Ega, qui "avait l'engagement chevillé au corps", s'implique pour sa communauté en créant une association antillo-guyanaise. Militante et lanceuse d'alerte de son temps, la Martiniquaise, portée par les idéaux égalitaires des années 1960, tente une expérience sociale et décide de se mettre dans la peau des jeunes domestiques antillaises travaillant à Marseille. Elle se fait embaucher pour des ménages et expérimentera alors une forme d'esclavage moderne, qu'elle raconte dans un livre publié en 1978 Lettres à une Noire - Récit antillais (éditions Lux).